Saint Laurent Vs YSL

Saint Laurent

Gaspard Ulliel, Saint Laurent

Le projet de Bertrand Bonello a fait couler beaucoup d’encre, bien avant sa réalisation. D’abord interdit, il a pu être réalisé; paradoxe médiatique, il est désormais encensé par la critique, et même soutenu par ses ex détracteurs. Qu’importe le scandale, pourvu qu’on en ait l’ivresse. Le tourbillon artistique, telle est la promesse de Bertrand Bonello, qui s’adresse à nous comme une caresse, ou plutôt une claque…délicieusement douloureuse.

Il a fallu 9 mois pour enfanter ce second biopic, après celui de Jalil Lespert. Quelles différences? Quel traitement du sujet commun aux deux projets ?

Saint Laurent : 1967-1976, YSL : d’Oran à la mort.

On le sait, Bonello a choisi de filmer Yves Saint Laurent sur une période bien précise, la décennie la plus emblématique, la plus riche et sans doute la plus décadente. Jalil Lespert, lui, a opté pour toute sa vie de créateur, dont il a mis en exergue de nombreux instants : le licenciement par la maison Dior, l’internement au Val de Grâce pour échapper à l’armée, mais bien-sûr, la rencontre avec Pierre Bergé, et tout ce qui s’ensuivra alors, y compris sa liaison destructrice avec Jacques de Bascher.

Là où les deux projets divergent, c’est dans leur choix de départ. Jalil Lespert a réalisé un biopic esthétique et convaincant, là où Bertrand Bonello signe une oeuvre cinématographique complexe, artistique, à la dimension profondément réflexive. Le réalisateur fait de nous un acteur de la psyché fragile de Saint Laurent. En nous projetant dans ce tourbillon fait de doutes, de craintes et de fulgurances, il nous fait tourner la tête, pour notre plus grand délice. On aurait néanmoins apprécier que le voyage soit un peu moins long (2h30).

Un artiste torturé face à un créateur en soif d’excès

Le Saint Laurent de Bonello, c’est avant tout un créateur qui s’acharne à sa table de travail comme on entre en religion. C’est un stakhanoviste hors-pair. Le jour il s’attelle à ses dessins, la nuit, il s’enferme dans une liberté déguisée : le champagne en guise d’eau pétillante, la fête souvent triste et la musique beaucoup trop forte. Ca n’est qu’à ce prix qu’il parvient à s’extraire d’une réalité qu’il vit comme une souffrance, et c’est parce que la vie ne peut être simple pour lui qu’il décide de la brûler, quitte à s’abîmer lors de cette longue envolée. Yves Saint Laurent ne marche pas, il plane.

Véritable garde-fou, Pierre Bergé ne bénéficie pas du même traitement dans chaque projet. Le film de Jalil Lespert accorde une large place à l’homme d’affaires (joué par Guillaume Gallienne), alors que celui de Bonello fait de lui un businessman qui a bien sûr toute sa place dans la vie de Saint Laurent. Il est à la fois meilleur ami, amant, amoureux et surtout gestionnaire. On notera d’ailleurs que les scènes de sexe sont beaucoup plus explicites chez Bonello, les jeux sexuels et la sauvagerie de certains rapports ne nous échappent pas. D’ailleurs, on verra Gaspard Ulliel intégralement nu, alors que la pudeur était de mise chez J.Lespert, malgré une scène dans les back rooms qui, malgré la violence, filmait uniquement le visage de Pierre Niney.

Certes, Bertrand Bonello et Jalil Lespert avaient en commun la volonté de confronter le créateur face à lui-même, face à sa part d’ombre, mais chez le réalisateur de l’Apollonide, le parti pris semble plus affirmé, ce qui en fait un objet cinématographique tout à fait saisissant.

Saint Laurent
© Mandarin Cinéma

Gaspard Ulliel interprète lorsque Pierre Niney incarne.

Bonello l’avoue lui-même : « Outre la ressemblance, Gaspard m’a convaincu par son envie de ne pas être dans l’imitation, de jouer l’interprétation. Je lui disais que j’allais le filmer lui et non pas Yves. Pour toutes ces raisons, Gaspard est rapidement devenu une évidence. » Notre impression, c’est effectivement celle de voir Gaspard Ulliel interpréter Yves Saint Laurent, de manière très fidèle néanmoins. Le travail sur la voix est époustouflant, comme l’était celui de Pierre Niney.

Le jeune pensionnaire de la Comédie Française incarnait Yves Saint Laurent par tous les pores. Le comédien s’effaçait pour laisser place à une véritable incarnation du créateur de haute couture.

Les femmes et Saint Laurent

Dans les deux films, les femmes ont un rôle prépondérant, et ce à travers toute l’oeuvre. Loulou de la Falaise, qu’elle soit jouée par Laura Smet (prochaine interview), ou Emma Seydoux, mais aussi Betty Catroux (Marie de Villepin ou Aymeline Vallade), ces muses qui ont inspiré le créateur, qui ont nourri son art. Il y a aussi Anne-Marie, sa plus proche collaboratrice, l’indéfectible.

Ce que les deux réalisateurs ont voulu unanimement montré, c’est toute l’admiration d’Yves Saint Laurent pour les femmes. Il a libéré la féminité, l’a affirmé au point d’en faire l’égal de l’homme, tout en la sublimant. C’est la raison pour laquelle Saint Laurent est entré dans l’histoire, et pas seulement celle de la mode.

Une esthétique sans pareille : la recherche de la Beauté absolue

Si le film de Jalil Lespert est un bel objet, il faut reconnaître que la patte de Bonello est tout à fait particulière. Il nous plonge dans des univers chauds et colorés en vert et rouge mais aussi dans des atmosphères refroidies par une musique composée par le réalisateur lui-même, très électrique, presque chirurgicale. Ce mélange des genres, totalement singulier, nous transporte dans une réalité esthétisée, où tout n’est que musique, oeuvres d’art et paradis artificiels. Bonello ne nous propose pas un film, il nous donne à voir un monde, ce monde c’est l’univers propre à Saint Laurent. Un personnage de cette envergure cherche le Beau en permanence, le Beau absolu, Platon dirait l’idée du Beau. De son propre aveu, il a créé un monstre et il doit vivre avec. N’est pas démiurge qui veut…

 

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