Dernière pièce du tandem de génie Azzopardi-Danino, Coup de théâtre(s) dresse une rétrospective loufoque du théâtre à travers les époques et les genres. Projet ambitieux que celui de ses auteurs d’avoir voulu faire voyager le spectateur à travers de multiples univers théâtraux, de ceux qui en forment la quintessence. Entre partis pris et libres interprétations, ils donnent à voir une pièce riche et savoureuse; probablement leur meilleure.
Coup de théâtre(s) ou un voyage à la portée de tous
Coup de théâtre(s) c’est avant tout une pièce qui ne s’adresse pas uniquement aux amoureux du théâtre. Certes, c’est une fabuleuse réflexion sur son évolution mais c’est avant tout un divertissement (du latin, divertere, se détourner de)*. Il ne s’agit donc pas d’abreuver le spectateur de références théâtrales mais bien de le plonger dans un flot d’intrigues, dont le fil conducteur n’est nul autre qu’un bien précieux. Ce dernier, symbolisé par une bobine de fil, appartenait au peuple grec; il lui a été subtilisé par un certain Pantalon (prononcez à la marseillaise « p-a-n-tallonne »). Pour retrouver ce bien sacré, le héros homérique traversera les siècles et les genres théâtraux.
De l’Antiquité grecque à Broadway, en passant par la Renaissance ou le théâtre élisabéthain, Coups de théâtre(s) réussit à dresser des passerelles entre chaque genre et chaque époque, que ce soit du point de vue narratif ou scénique. Pour ce faire, Sébastien Azzopardi a créé une mise en scène particulièrement ingénieuse qui permet d’enchaîner les époques sans aucune rupture. Les décors de Juliette Azzopardi sont particulièrement soignés et confèrent à la pièce toute sa grandeur.
*private joke pour ceux qui auraient déjà vu la pièce, simple point culture (inutile) pour les autres
Coup de théâtre(s) ou une mise en abyme loufoque
Le pouvoir comique de cette pièce réside dans la manière dont les personnages rient des autres ou d’eux-mêmes. Ulysse, héros troyen, est tourné en ridicule : « tu ne serais pas de la jaquette, toi qui portes une jupette ? » Aussi la fille de Molière est-elle présentée avec un cheveu sur la langue, des tics fortement comiques et décrite par tous comme « moche ». Enfin, le Roméo d’Azzopardi a plus des airs de Dave ou Cloclo que le Niels Schneider de Briançon. Le reste est à découvrir…
Outre ce comique de caractère, on assiste véritablement à des situations complètement abracadabrantesques, où les personnages sont en proie à des quiproquos telle la scène de vaudeville. Les auteurs se sont, comme à l’accoutumée, réservés le droit d’émettre leurs commentaires, ce qui rend les situations d’autant plus savoureuses.
Coup de théâtre(s) ou les thèmes fondateurs
Ulysse est présenté comme un vaillant guerrier totalement perdu, qui n’a plus de certitudes. Tiraillé entre son devoir de retrouver son peuple, sa Pénélope et l’attachement profond qu’il ressent pour son compagnon d’infortune, il devra faire un choix et ne pas s’en remettre aux dieux.
In fine, cette pièce est une merveilleuse réflexion à la fois sur le libre arbitre et la force du destin, ainsi que sur le travail de comédien. Quelle part de liberté l’auteur laisse-t-il à ses comédiens ? Sommes-nous toujours maître de nous mêmes ? Ne vivons pas dans une illusion ? Sébastien Azzopardi et Sacha Danino ont réussi à poser toutes ces questions, essentielles, à travers Hamlet mais aussi, les vanités qui dénoncent celle du genre humain soumis à la fuite du temps, par peur de la mort. Le fameux memento mori (souviens-toi que tu mourras) est plus que jamais d’actualité dans un contexte théâtral. Ne joue-t-on pas pour donner à voir un monde illusoire, pour se divertir et ainsi, se détourner de sa propre mort ?
Coup de théâtre(s) ou ses comédiens proteiformes
Comme dans Le Tour du Monde en 80 jours, les comédiens ne se contentent pas d’un rôle mais en jouent bien davantage, sans en avoir l’air.
Seul personnage à se retrouver parachuté chez Molière, Shakespeare ou même à Broadway**, le comédien interprétant Ulysse relève le défi d’être crédible à chaque instant. Alyzée Costes, cette jeune comédienne d’une beauté effarante n’hésite pas à jouer sur le registre comique, tout en gardant une grâce enchanteresse. Tour à tour sphinx (dans un costume que les spectateurs s’arracheraient), polichinelle, femme savante, Roxane de Cyrano et chanteuse de Broadway, elle va et vient à travers ces rôles avec une habilité déconcertante, sans aucune fausse note.
**Oui, vous avez bien lu, Broadway. Les puristes doivent parfois vendre leur âme au Music Hall pour manger.
En définitive, cette pièce est la nouveauté à ne pas manquer, si vous voulez embrasser tout le théâtre, avec légèreté mais profondeur.
Avec Benoît Cauden, Alyzée Costes, Alexandre Guilbaud, Nicolas Martinez, Laurent Maurel, Olivier Ruidavet, Salomé Talaboulma
Depuis le 5 juin, au théâtre de Gaîté Montparnasse
Du mardi au samedi à 21h
Samedi à 17h jusqu’au 16 août inclus
Samedi à 16h30 à partir du 23 août