Après le Songe d’une Nuit d’Eté, Nicolas Briançon revient au Théâtre Saint Martin avec une pièce de Shakespeare : le couple mythique de Roméo et Juliette, respectivement interprétés par Niels Schneider et Ana Girardot.
Une effervescence folle
Dans la mise en scène de Nicolas Briançon comme dans l’originale, les scènes de liesse ou de rixe traversent la pièce. Les jeunes gens représentent la parfaite incarnation d’une jeunesse libre, qui n’a de cesse de s’exprimer. Cette vague libertaire, associée à une soif de transgression, ne peut que galvaniser ses spectateurs. Comme dans nombre de ces pièces au parfum si particulier, le metteur en scène a ce don de leur insuffler une énergie des plus exaltantes. Le spectateur ne peut qu’adhérer à cette vague communicative.
Pour ce faire, tout est minitieusement chorégraphié. La bande des amis de Roméo côtoie dangereusement le clan des capulet, et ce sur fond de musique à la fois dansante et mélancolique (violon oblige); pour l’occasion, le petit orchestre joue en live sur scène. Point d’orgue de cette énergie folle, sans doute le personnage de Mercutio : libre dans sa tête, il l’est aussi dans ses propos (la scène dans laquelle il insulte la nourrice de Juliette sous ses yeux ébahis est tout bonnement savoureuse). Roméo et lui affichent une belle complicité, à l’instar de celle qui le lie à son cousin (lui, d’un caractère bien plus réservé). Les scènes de bagarre sont d’un grand réalisme (même au 3ème rang).
L’amour et rien d’autre
Pour les deux protagonistes, ce couple mythique-faut-il le rappeler, l’amour compte plus que tout, jusqu’à leur propre vie. Toutefois, ce qui semble intéressant de souligner c’est le rapport qu’avaient respectivement chacun des deux personnages à l’amour avant leur rencontre. Si Roméo était ensorcelé par les charmes de Rosalie, Juliette, elle, ne semblait pas concernée par les considérations affectives, encore moins sensuelles. Il semblerait que la rencontre avec Roméo ait agi comme un facteur déclencheur : elle n’est pas amoureuse de l’idée de l’amour comme a pu l’être Roméo auparavant, idéalisant cette Rosalie entre toutes les femmes. Juliette tombe éperdument amoureuse de Roméo parce que c’était lui et personne d’autre.
Rien de plus émouvant que de voir ces deux amants (certes maudits) se jeter à corps perdu dans une passion qui aura hélas raison d’eux. Ils semblent en parfaite osmose, mais cet état devient dévastateur; l’un sans l’autre, c’est à peine s’ils peuvent respirer normalement.
Des comédiens époustouflants
La troupe de comédiens proposée par Nicolas Briançon est d’un talent indéniable. Chacun des nombreux personnages incarne avec force justesse son rôle : des parents de Juliette à sa nourrice délicieusement campée par Valérie Mairesse, au prêtre (l’un de mes rôles favoris) en passant par les amis respectifs du couple interdit, tous endossent leur rôle avec prodige. Bien sûr, la direction du metteur en scène n’y est pas étrangère.
Et puis il y a eux… Roméo et Juliette… Niels Schneider et Ana Girardot. Ce couple entré dans la mythologie. Les comédiens leur confèrent l’épaisseur psychologique qui est la leur : les textes sont magnifiquement interprétés, le ton, juste et l’intention, parfaite. On ne peut s’empêcher d’être émus face à leur interprétation presque viscérale de deux âmes amoureuses mais torturées par cet amour et les vicissitudes de la vie. Nicolas Briançon a eu une vision de génie en pensant à ce couple là : en plus d’être juste dans leur jeu, ils sont d’une beauté à faire pâlir Claire Danes et Di Caprio. Pathos et Eros n’ont jamais fait un si beau duo. Face à un si beau tableau, les esthètes ne peuvent être que comblés.
Poésie, amour, frénésie : de grâce, courrez-y.