Rencontre avec Swann Arlaud : entre humanité et engagement.

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Tu as commencé ta carrière enfant, qu’est-ce que qui t’a donné envie de continuer ensuite ?

J’avais une réelle passion pour les acteurs. De plus, j’ai regardé beaucoup de films quand j’étais ado mais j’ai commencé ce métier par hasard : j’ai fait l’école des arts décoratifs de Strasbourg donc j’avais plutôt envie de faire du dessin de la peinture et j’écrivais aussi pas mal depuis toujours. Quand je suis rentré, je n’avais pas de boulot, j’ai fait un job de peintre en bâtiment puis j’ai eu la chance de faire des petits rôles. A la fois ça me plaisait et c’était alimentaire même si ça ne suffisait pas pour vivre. C’est petit à petit que la chose est venue, à travers des rencontre surtout. Il y a eu Daniel Duval qui a écrit un film qui s’appelait Le temps des portes plumes, j’avais une connexion très forte avec lui. En vérité, ce sont les autres qui m’ont dit « tu as quelque chose à faire là ».

C’est le moment où j’ai découvert toute la part de travail que ça supposait. Quand j’ai dû me préparer pour tourner : rentrer dans des mondes, lire des livres, voir des films, apprendre des choses. C’est ce qu’il y a de plus enrichissant, c’est une immersion dans plusieurs mondes à chaque rôle et j’ai pris beaucoup de plaisir à faire ce voyage. Je pense que j’ai un rapport passionné aux choses, voire excessif, ce qui pourrait poser problème dans la vraie vie mais dans ce métier c’est parfait. J’ai compris qu’il correspondait à mon rapport aux choses. Enfin, il  y a toute une dimension d’entreprise humaine et de travail d’équipe qui est très forte. Tous ces gens qui font des métiers très différents et qui pourtant sont complémentaires. C’est un geste qui a besoin de celui de chacun : pour qu’une prise soit bonne, il faut que tout le monde soit au rendez-vous. On n’atteint jamais ce but tout seul donc on est interdépendant les uns des autres. Humainement on vit des rencontres, des voyages dans le temps ou la géographie. Petit Paysan, c’est aller passer du temps dans ces familles-là, rencontrer ces gens-là ; c’est comme partir deux semaines en Inde en voyage et y aller travailler : ce n’est pas la même chose et dans les deux cas, on vit des choses complètement différentes. On rencontre les gens dans une vie plus quotidienne et plus intime par le biais du travail ; c’est cette humanité nécessaire pour faire des films qui me touche.

Quand tu disais que tu avais accès à une énorme vidéothèque c’est parce que tes parents sont dans le milieu ?

Mon père est chef déco, mon frère est accessoiriste ; ma mère écrit, elle est également metteuse en scène au théâtre et directrice de casting, elle-même mariée à un ancien chef opérateur-réalisateur. J’ai grandi avec ma mère et mon beau-père enregistrait les films à la télé sur VHS : il notait les titres et on avait une vidéothèque impressionnante dans le grenier vers lequel ma chambre menait directement. Moi je regardais des films pour tuer l’ennui, je n’ai compris que beaucoup plus tard que toute cette matière m’avait énormément nourri. Mais l’envie du jeu n’est venue que bien après.

Des comédiens ou auteurs t’ont inspiré ?

J’ai une passion pour Serreau, Rochefort, François Morel. J’ai grandi avec les Deschiens et je l’écoute sur Inter tous les vendredis. Il y avait le cinéma de Bertrand Blier, ce rapport à la langue, une forme d’humour assez particulière : je suis très touché par l’endroit de l’absurde donc Boris Vian côtoyait Bertrand Blier…

Quelle est la place du cinéma dans ta vie ?

Dans ma prime adolescence, j’allais davantage au cinéma pour tenir la main à une fille. La salle obscure s’apparente alors aux premiers émois. Au-delà de ça, désormais je vis un rapport avec la salle que j’adore, d’ailleurs je préfère aller seul au cinéma. J’y vais rarement avec quelqu’un et j’ai toujours cette sensation en m’asseyant de me dire « Qu’est ce qu’on est bien », il y a quelque chose de magique. Ma vie fait que j’ai l’occasion d’y aller moins même si j’y vais souvent. J’ai le bonheur de faire un métier qui me permet d’aller à la séance de 11h quand je ne travaille pas. J’ai du mal d’y aller le soir en revanche.

Ce qui est étonnant avec le cinéma c’est que c’est une expérience collective, chose rare à présent. Y aller seul permet de vivre cette expérience avec des inconnus. Mon moment préféré c’est celui où tu ressors de la salle, tu marches seul et la vie reprend peu à peu ses droits. On est habité par le film qu’on vient de voir donc on peut être en colère car c’était nul à chier, ou être sur un petit nuage, penser à une histoire d’amour qu’on a eu il y a 10 ans : on fait un chemin concret mais aussi un parcours intérieur grâce au film. Quand on est à deux, il est très difficile de repousser le moment où on va se parler et se dire ce qu’on a pensé du film. Le problème c’est que souvent on n’est pas encore prêt à ça.

Désormais quand on me propose un projet, on m’envoie les films précédents du réalisateur donc par la force des choses, j’en vois beaucoup.

Que ce soit dans « Exfiltrés » ou dans « Grâce à Dieu », tu joues des rôles dont le couple bat de l’aile, pour des raisons évidemment différentes. 

Je suis assez abonné aux handicapés de l’amour étonnamment, au cinéma. (rires)

Je ne creuserai pas sur ce point (rires). 

« Petit paysan », c’est un film qui a changé la donne, notamment grâce à ton César ; il t’a permis d’accéder à une diversité de projets. 

Oui et depuis, il y a le film de Ozon qui est une marche supérieure. Quand on parle de ce métier en disant que c’est un métier difficile, c’est d’abord d’avoir du travail, et comme on est dépendant du désir des autres, c’est quelque chose qui est douloureux vis à vis de soi même si nous ne sommes pas jugés en tant que personne : il faut un personnage pour un film et si on n’est pas pris ce n’est pas parce qu’on est un sale type, mais plutôt parce qu’on n’est pas le personnage. Puisqu’il y a une difficulté à travailler, on a besoin de vivre et on accepte des rôles. Pendant des années, on va passer des castings, on nous dit « tu es pris » alors qu’on n’a même pas eu le droit de lire le scénario. On est content, on est censé dire merci.

A un moment, les choses s’inversent : on reçoit des scenari, et on nous propose de voir le réalisateur ou la réalisatrice si le projet nous plaît. Comme mon but n’est ni d’être une star, ni de gagner un maximum de pognon mais juste faire les choses que j’aime et prendre du plaisir à les faire. Ce choix qui m’est donné me permet de refuser des projets et de m’engager sur ceux auxquels je crois. On a soudain du pouvoir sur ce qu’on fait : c’est très engageant car c’est notre physique qui est en jeu. Evidemment, il y a une marge d’erreur : on peut partir sur un film en y croyant et s’apercevoir que le résultat n’est pas celui qu’on attendait. C’est extrêmement dur de ne pas s’aimer dans un projet, alors qu’on l’a fait par conviction. Comme il y a une difficulté de se projeter ailleurs que ce qu’on a l’habitude de voir : au début, Petit paysan, les gens n’y croyaient pas : j’entendais « Mais lui c’est un petit Parisien, qu’est-ce qu’il va faire là-dedans? » C’est avant tout un métier donc ça m’a ouvert des portes hallucinantes car les gens savaient que je ne venais pas de ce milieu.

Comment t’es-tu préparé au rôle pour « Petit paysan » ?

Je suis allé en immersion chez les cousins du réalisateur qui m’ont pris en stage durant 2 semaines. Les 3 premiers jours étaient difficiles : il y a les odeurs, les éclaboussures. Au bout d’un moment, on oublie et on se concentre sur le geste. Ce qui est plus facile quand tu es comédien, c’est que tu sais que ce n’est pas ta vie et que c’est juste le temps d’un film, pour 3 mois et qu’ensuite c’est réglé.

Avant le tournage, on a  remis la ferme des parents d’Hubert (Charuel, le réalisateur) en activité, on a fait revenir les bêtes pour les habituer à l’endroit et pour qu’on s’apprivoise réciproquement. J’étais ensuite en formation avec Sylvaine Charuel, la mère d’Hubert, qui était en retraite depuis un an. Elle a un peu inspiré le personnage. A l’issue de ces quatre semaines, on a commencé à tourner. Une caméra et une perche sont arrivées alors que je continuais mon stage, pour habituer les bêtes progressivement, et le reste de l’équipe est arrivé ensuite. Des images très documentaires ont été tournées dans un premier temps, et Hubert en a beaucoup gardées alors qu’il pensait initialement les jeter.

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Swann Arlaud dans Petit paysan, de Hubert Charuel. Crédit photo : DB-Domino Films

Côté préparation physique, j’ai dû prendre 10 kg pour le rôle, même si je sais que je ne suis pas bien gros dans le film : j’étais coaché par un nutritionniste et un préparateur physique pendant 6 mois. Si je n’avais pas pris ces 10 kg là, je n’aurais pas du tout été crédible.

Pour « Grâce à Dieu », as-tu aussi rencontré le personnage que tu incarnes ?

Non parce que l’idée n’était pas de faire un biopic, le film est très impressionnant car tout ce qui a été dit est très fidèlement retranscrit, mot pour mot. Il y avait tout cet aspect documentaire et réaliste mais il s’agit d’un film de fiction. Il ne fallait pas être tenu de faire une pâle imitation de quelqu’un : là où réside l’intelligence de François (Ozon), c’est que lorsque j’ai rencontré Pierre-Emmanuel, on s’est trouvé des ressemblances flagrantes. Idem pour Melvil (Poupaud) et Alexandre lorsqu’ils se sont retrouvés sur les plateaux télé. Cette justesse de choix de casting tient à la perspicacité du réalisateur mais nous ne les avons pas rencontrés car la responsabilité était déjà assez forte.

Ton personnage est celui qui semble le plus fragilisé par ce qu’il a vécu, en termes de blessures « visibles » qui ont encore une forte résonance dans sa vie actuelle…

Oui parce que c’était la volonté de François : aller dans une escalade. On commence par quelque chose de très tenu où les stigmates sont moins visibles et on va vers le personnage incarné par Denis, où les choses sont plus organiques, plus combatives pour finir dans le drame.  On glisse vers le danger et comme on a l’accumulation de ce qui s’est passé avant, on a envie que quelque chose fasse mal. L’intrigue est montée comme une sorte de mille-feuille. Les deux premiers protagonistes de l’affaire étaient inévitables : le premier a lancé l’affaire, le deuxième a monté l’association et tout balancé à la presse. Pour le troisième en revanche, ça aurait pu vraiment être un autre. François avait envie de changer de niveau social, aller vers quelqu’un chez qui les stigmates sont plus visibles. Le sujet c’est davantage la libération de la parole et ses dommages collatéraux que la pédophilie dans l’Eglise, on est sur un combat d’hommes et sur l’engagement, dénominateur commun avec Exfiltrés qui est sorti peu après.

J’ai vu que tu avais réalisé un court-métrage, tu peux nous en parler ?

Venerman, un film que j’ai réalisé avec ma mère, Tatiana Vialle, pour Tobias Nuytten qui est mon petit frère : un jeune garçon qui vit en banlieue à la campagne, dont le rêve est d’être noir et de vivre dans une cité. C’est un adolescent qui a un rapport à la justice assez fort, il est révolté. Se pose la question de la légitimité de la révolte quand on n’est soi-même pas soumis à l’injustice. Cette question résonnait fortement chez mon frère et moi  : ce rapport à l’injustice alors que nous n’y étions pas nous-mêmes directement confrontés. On trouvait qu’il y avait un fond comique et un politique aussi : ce petit blanc qui rêve d’être noir. On raconte aussi une histoire familiale : il sèche les cours, il fait de la muscu, du rap et il retrouve son grand frère à Paris qui a fait du rap quand il était adolescent. En pensant trouver une oreille compréhensive, il va surtout se retrouver face à un adulte qui lui préconise de retourner à l’école. Ce court-métrage traite de désillusion, du rapport à l’injustice et au complexe bourgeois. C’est également une entreprise familiale : on raconte notre histoire même si on l’a mise en fiction. A la manœuvre, la mère de mon fils pour l’image, Sarah Boutin, mon beau-frère, Barnabé Nuytten à la musique. On a écrit, réalisé et monté le projet ensemble avec ma mère, le tout, produit par Année Zéro. Ca fait un an que le film tourne en festival, il fait sa petite vie.

Tu en es à 55 films (wow!), où te situes-tu dans ta carrière ?

J’ai fait les choses étapes par étapes, ce qui est plus serein. Je sais que ça peut s’arrêter du jour au lendemain. Si tout cela m’était arrivé à 25 ans, je l’aurais géré complètement différemment : j’aurais voulu tout prendre. Désormais j’ai un enfant et j’ai conscience qu’il y a des choses plus importantes dans ma vie et que je dois faire les bons choix de films, même si le hasard du calendrier fait que trois films dans lesquels je joue sont sortis en deux mois. Je n’ai pas envie de me disperser, je fais des choix de cœur avant tout.

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