Marilyne, un prénom prédestiné au cinéma ?
Prédestiné au cinéma ? Non pas nécessairement, on pense à Marilyn Monroe c’est ça ?
D’ailleurs je reçois souvent en cadeau des affiches ou des livres sur Marylin, des DVD. Ce n’est pas très original, ça vient de gens qui ne me connaissent pas très bien.
Je me souhaite sa carrière pas forcément sa fin.
Predestiné ? non… Quoique j’adore ses lettres intimes écrites quand elle était en HP. Elle a écrit son journal intime et c’est magnifique.
Ce n’est pas du tout l’image qu’on a d’elle, voluptueuse, c’est quelqu’un qui a beaucoup bossé, elle a été plus ou moins bonne sur certains rôles mais il y en a qu’elle a joué divinement.
Les moments de solitude qu’elle a pu traverser et mis en mots, c’est de la poésie à l’état pur.
En effet, elle a une image beaucoup plus mélancolique qu’il n’y paraît…
Oui, de toutes façons, la notoriété ce n’est jamais le bonheur !
Tu viens du monde du théâtre, qu’est-ce qui t’as donné envie de monter sur les planches ?
Maryline hésite …
C’est un mois d’hôpital, c’est une opération de la gorge pour laquelle il y a eu des complications ; un kyste embryonnaire ; J’ai été opérée plusieurs fois de la gorge et cette fois à 14 ans, alors que j’avais fait mon stage de 3è en pharma. En 2nde je n’ai pas pu finir les cours(…) car ça s’est infecté donc on m’a ré-ouvert a vif sans anesthésie, ni locale ni totale parce que je venais d’en avoir une, donc je n’y avais pas le droit. J’ai cru que j’allais décéder et en fait ce qui m’a manqué, c’est le théâtre.
Je faisais du théâtre amateur, parce que mes parents m’y avaient in
scrite à 12 ans pour que je sois plus ouverte, que je parle davantage et ça ne me plaisait pas forcément; sur mon lit d
hôpital, ce ne sont pas du tout les cours qui m’ont manqué, c’était d’aller jouer. Le soir même où je suis sortie de l’hôpital, c’était la dernière représentation du spectacle qu’on donnait à théâtre métro Atelier et j’avais été remplacée pour les précédentes. Ce soir là je suis allée voir ma prof, je lui ai dit « je veux jouer » et elle m’a répondu « non tu ne fais pas tes deux rôles, ce n’est pas possible. Elle a quand même accepté que j’en fasse un des deux. J’étais avec une écharpe, un grand pansement. (…) C’est ce qui m’a manqué un appel de vie, une force, j’avais envie d’aller crier la vie et de me sentir vivante.
C’est à partir de cette malheureuse expérience que tu t’es rendue compte à quel point c’était vital pour toi et ça te tenait à cœur…
Oui, j’avais envie d’aller retrouver des êtres humains, d’échanger des mots, aller sur un plateau, raconter des histoires, ouvrir l’imaginaire.
C’est une chose tragique, qui a amené du positif comme c’est souvent le cas…
Absolument.
Et quel a été ensuite ton parcours ?
J’ai eu un Bac économique et social. Puis j’ai passé directement le cours Florent en concours et la Scène sur Saône, une école régionale lyonnaise. J’ai eu les 2 mais mes parents m’ont trouvée trop jeune pour monter sur Paris à 17 ans donc ils préféré que je reste sur Lyon. Et à dire vrai la formation m’intéressait davantage parce qu’à Lyon on était 400 à passer le concours et 20 à être sélectionnés alors que sur Paris j’avais fait un stage caméra et un stage théâtre et ils prenaient à peu près tout le monde. On sait qu’il y a 3000 élèves au cours Florent, si on ne fait pas la classe libre, c’est quand même une école ouverte à tous dès lors qu’on a le budget nécessaire pour se payer cette école, donc j’ai préféré rester sur Lyon. L’école devait se dérouler en 3 ans et au bout de 2 ans, j’ai passé les concours comme tout le monde le faisait, j’avais donc 19 ans à l’époque, (…) Je suis allée au Conservatoire de Montepellier pendant 3 ans et à la fin des 3 ans, c’est Ariel Garcia Valdes, comédien assez réputé qui m’a dit « Passe Paris tu as encore l’âge », j’avais donc 22 ans, et j’ai intégré le Conservatoire de Paris.
Justement, ça m’ammène à ma prochaine question, tu es allé au Conservatoire d’Art Dramatique, ô combien sélectif ; que retiens-tu de cette formation ?
De très belles rencontres humaines et artistiques, des univers complètement différents ; je retiens davantage les rencontres que la formation en elle-même car il y a des êtres (acteurs ou metteurs en scène) qui vous marquent davantage. J’ai dit oui à tout, même à des projets qui me correspondaient moins parce que c’est par l’expérience qu’on s’aguerrit, ne pas rester fermée. J’ai fait de belles rencontres comme par exemple avec Philippe Garrel que j’ai eu un an en prof de théâtre, j’ai adoré. En 2è année, Domnique Valadier, Alain Françon avec qui j’ai beaucoup aimé travailler ; Robin Renucci qui m’a recontactée par la suite ; j’ai beaucoup apprécié aussi Olivier Py en atelier de 3è année sur l’autonomie de l’acteur, Caroline Marcadet en prof de danse mais qui, en tant qu’actrice et personne, est assez extraordinaire. C’est un appel de vie qu’elle nous offre…et Jacques Doillon, forcément, c’est le dernier cinéaste que j’ai eu en tant que prof et qui m’a recontactée juste après.
Au cinéma, le grand public t’as probablement connue dans le dernier Jacques Doillon, comment es-tu venue ajouter cette nouvelle corde à ton art ?
Sympa, Marilyne rit de mon jeu de mot téléphoné.
Alors, clairement j’ai du faire confiance à Jacques qui croyait en moi, qui découvre disons les nouveaux talents ou les nouveaux espoirs, je ne sais pas comment les appeler. Je ne suis ni espoir ni talent (Je marque mon désaccord).
Mais ce qui est très drôle, c’est que j’avais déjeuné avec lui et qu’il m’a demandé le numéro de téléphone de comédiens que je trouvais pertinents au cinéma, au sein du conservatoire. Je lui avais donc fait une liste avec plein de gens que j’apprécie, dont ma meilleure amie, Benjamin Lavernhe également qui est au Français maintenant. Et en fait c’est moi qu’il a rappelée deux mois après, en me disant « Marilyne il faut que tu passes un essai ce soir ». Je lui avais répondu que ce n’était pas possible car ce soir là j’étais ouvreuse, il a rétorqué que je devais me faire remplacer pour passer le casting. Quand je suis arrivée, il m’a présenté Samuel Benchetrit que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve, je ne savais pas qui c’était. Il me dit il n’est pas comédien, il démarre, il a juste fait un petit truc sur Goldman (Pierre, figure de contestation dans les 60s, non le chanteur, ndr), je savais pas qu’il était réalisateur. C’est comme moi je sors du conservatoire, je n’ai encore rien fait de ma vie en cinéma, donc ça tombe bien. Les essais se passent très bien, on les reprend deux trois fois j’avais presque le texte en main, j’ai du l’apprendre très vite. Et à la fin je parle avec Samuel, et je lui dis « Alors tu fais quoi dans la vie ? » Il me dit « Je fais de la réalisation de films ». Moi : « Connus ? Courts ? Moyens ? Là je vais au MK2 voir des courts métrages super, si tu veux m’accompagner… Et j’ajoute « J’aimerais bien voir tes films, ca sort où ? » « Au ciné. » Et là il me parle de Chez Gino, j’ai toujours rêvé d’être un gangster. Plus tard en prenant un verre avec un ami, je lui demande s’il connaît Samuel Benchetrit il me dit « Oui c’est quand même le mari d’Ana Mougalis, l’ex de Marie Trintignant ». Je me dis « OK, j’ai mis les pieds dans le plat, je n’aurai jamais ce casting » J’y suis allée avec ma fraîcheur et ma spontanéité…et le lendemain j’ai été rappelé par Jacques à midi qui m’a dit que c’était bon pour moi. (…)
Tu étais d’autant plus heureuse que tu n’y attendais pas, on ressent quoi à ce moment là même si je devine ta réponse…
Je ne savais pas de quoi il en retournait
Tu étais plus perdue qu’à sauter au plafond, en somme…
Oui, j’étais terrorisée de mettre les pieds sur un plateau de tournage. Certes j’avais un texte mais dans la mesure où je n’avais jamais tourné au cinéma, c’était un univers que je découvrais même si j’avais été un peu formée par Philippe Garrel, Jacques Doillon ou encore Yves Boisset. L’expérience vraie avec 10 assistants, un chef op, un cadreur, un habilleur, un régisseur, quelqu’un à la lumière, c’était un monde que je découvrais.
Finalement on est moins impressionné par le fait de tourner avec Jacques Doillon-que tu connaissais un peu car il a été ton prof, que par le tournage au cinéma en soi vu que c’était une expérience complètement inédite pour toi.
Absolument, pour moi c’était la surprise d’un tournage, plus que le réalisateur en lui-même car Jacques m’appréciait… Lors du premier cours que j’ai eu avec lui, il m’a fait le même retour que Philippe (Garrel, ndr) et j’ai su que ça allait coller. Les quelques réflexions qu’il a faites, il a visé juste. Il faut être active toujours, ne jamais être installé dans son jeu d’acteur. Puis c’est un bonheur de travailler avec lui, les dialogues sont ficelés au mm près, tous les déplacements, idem. On a beaucoup de contraintes et après il te demande de tout oublier, d’être fantaisiste et de te sentir libre. Pour autant, tu t’inscris dans les marques qu’il a imposées, sauf que pour autant, tu ne t’y appliques plus, ça doit te traverser, comme sur un plateau de théâtre où on répète des mois pour être au présent, et à neuf à nouveau, que ce soit dans le regard ou dans la pensée.
Il installe des repères en toi et après, tu t’en imprègnes et tu joues tout en te libérant de ces contraintes.
Oui il s’agit de retrouver la spontanéité de la découverte. Ca amène un grand déséquilibre, quand je tourne, que ce soit sur un plateau de théâtre ou ciné mais davantage ciné, je ressens énormément de joie et de tristesse à la fois, c’est-à-dire que je suis perdue et j’ai beaucoup de jubilation dans cette perte là, comme disait Truffaut c’est joie et tristesse ; c’est un subtil mélange qui est infiniment jouissif…
Toi tu es faite pour ce métier car une même personne face à ça peut être juste triste et ne pas ressentir cette jubilation dont tu parles…
C’est un émerveillement de jouer et se laisser traverser par des émotions, de les retenir de les libérer quand il faut, on est instrument et instrumentiste et c’est jouer avec soi et à la fois être complètement dépassé par ce qui peut se passer.
A la fois être acteur et spectateur de tt ce qui se passe en toi et autour…
Oui c’est ça qui est très agréable car on peut être saisi par des dynamiques et un travail de rythme et ce qui est indéniable à ce sujet, c’est que Jacques (Doillon, ndr) travaille beaucoup en rythme, tout comme la plupart des gens avec lesquels je travaille font une grande confiance aux acteurs, ou du moins à l’actrice que je suis ; on sait que je suis efficace, très consciencieuse, travailleuse, je sais mon texte par cœur au rasoir avant les répétitions, je m’impose des règles.
Tu donnes du rythme au film de Jacques…
C’est lui qui en demande aussi lorsqu’il dit là il y a un silence, là ça repart ;
Mais ça vient de ta personnalité aussi ; une même personne ne donnerait peut être pas autant de rythme car elle n’aurait pas la même diction que toi, la même énergie ; c’est sans doute aussi affaire d’énergie, non ? Même si c’est voulu par le scénario, il y a une énergie propre à toi qu’une autre personne jouerait différemment, et on n’obtiendrait pas le même résultat.
Alors oui c’est une énergie mais elle est toujours en dents de scie dans le sens positif du terme, c’est-à-dire qu’il y a toujours des écueils et des sommets ; ce sont des chutes et des rebonds, des instincts de vie et de mort qui traversent mais ça fuse et c’est infiniment délectable.
Tourner avec un réalisateur et sa fille (Lou Doillon, ndr) doit probablement apporter une dimension supplémentaire au tournage, peux-tu nous en parler ?
Moi je n’avais qu’une seule scène avec Lou (le dîner à 4), donc je ne les ai pas vus tous les deux sur le tournage. D’ailleurs au montage, c’est davantage l’histoire de Lou et Sam qui est gardée car les plans avec Malik (Zidi), à l’exception d’un plan dans le couloir de l’appartement. (…)
Le rapport père/fille ce serait à eux d’en parler en tous cas car moi j’avais des jours de tournage très éparpillés (…), j’ai tourné dans le désordre et souvent j’ai tourné avec Sam donc c’était difficile pour moi de me faire un avis.
Je crois que Lou a eu beaucoup de plaisir à tourner avec son père car les autres actrices avec lesquelles il voulait tourner ont refusé. Jacques dit que c’est un bonheur qu’elles aient refusé car il a découvert une actrice, qui plus est, sa fille mais je pense qu’ils se sont bien trouvés là-dessus.
Je ris. Marilyne me demande quelle est la question qui me fait déjà rire…
Qu’est-ce qu’on ressent quand on joue la compagne de Samuel Benchetrit, même si on ne le connaissait pas à la base ?
J’ai un acteur en face de moi, j’ai quelqu’un d’humain…c’est très dur de répondre (…)
Le plus dur c’était de jouer l’amour ensemble, sachant que sa femme est plus âgée que moi, qu’il a des enfants, et que je suis plus proche en âge de l’âge de son fils que de son âge à lui. J’avais 26 ans pour le tournage, lui doit avoir une petite quarantaine (et là je pense soudain, il ne nous en voudra pas Samuel B. de dévoiler son âge…?)
Ce qui est plaisant, c’est que ce sont des êtres à part et qu’ils ont donc leurs qualités, toutes différentes ; Ce n’est pas la même chose que de jouer face à Sam, à Lou ou à Malik. Ils me font jouer différemment, j’ai ma propre énergie mais elle est toujours influencée par le contact d’autrui. C’est la raison pour laquelle dans les castings, on cherche toujours à mettre en présence des acteurs qui ont une énergie qui peut être en symbiose, qu’il y ait une distribution intéressante, pour que quelque chose passe.
Je crois qu’à l’écran on était crédible.
Moi je ne vois pas l’acteur, le beau gosse ou encore la star people qu’il est : c’est un homme, un acteur, un père de famille que j’ai en face de moi. Je vois l’homme, l’être humain.
(…) D’ailleurs on a rarement parlé de nos rôles. Ce sont les rencontres humaines qui priment.
Tu as reçu le prix du Meilleur Espoir au Festival du film de Rome 2012, qu’est-ce qu’on ressent à cet instant ? Au risque d’être une question « bateau »…
Première impression : le trou noir, je n’ai pas compris, j’ai reçu un texto je sortais d’un théâtre à Cergy Pontoise, j’allume mon portable, je vois un message de « prod Doillon » : « Marilyne, rappelle nous d’urgence, tu viens d’obtenir le prix du meilleur espoir au festival de Rome, on t’attend ». Je me dis que ça n’était pas possible (…) j’appelle je n’y croyais pas, on me dit on peut le prendre à ta place Je n’ai pas pu y croire en fait. Je n’ai pas compris jusqu’au moment où j’avais les pieds sur cette scène quand Marco Müller m’a remis le prix en mains.
Je me disais c’est une blague, jusqu’au bout je l’ai pensé. Ca n’est qu’une fois sur scène quand on me donne le Marc-Aurèle que j’ai réalisé. J’avais les jambes qui tremblaient parce que ce n’est pas un plateau de théâtre, c’est la réalité, une belle réalité mais qui est foudroyante parce que c’est mon premier film…
Une scène de bagarre retient l’attention de Marilyne et interrompt notre interview, à l’arrêt de bus juste derrière le café où nous sommes…
Sur place, je me disais « Mon Dieu, que se passe –t-il ».Je ne savais même plus qui remercier, au delà de Jacques qui m’a confiance, des producteurs, ce sont les acteurs qui me donnent une vérité, une justesse. Puis j’ai remercié ma grand mère sans qui je n’aurais pas étélà.
En début d’interview je voulais en parler quand tu m’as demandé ce qui m’a donné envie, elle n’a rien à voir avec le milieu mais elle me faisait confiance même si elle avait très peur, elle a toujours cru en moi, elle a toujours voulu que j’exerce ma passion, elle me soutenait (…) Je sais que je joue encore pour elle, lors de mon prix je lui ai adressé mes remerciements, à ma famille. Je la porte en moi et je la rejoindrai, le plus tard possible mais sans son énergie que je sens au dessus de moi, je n’avancerai pas.
Tu sens qu’il y a qqn qui te suit dans tes choix…
Oui, il y a Elle.
C’est peut être pour ça aussi que tu as une telle force de vivre …
C’est la sienne (…) J’ai envie d’aller dire la vie, d’ouvrir les consciences, d’amener à la compréhension. Je comprends le monde par les auteurs que je peux lire, tout ce qui nous environne ns constitue, ce dont on s’abreuve… Sans Pascal, sans Dostoïevski, sans le yoga, et la peinture qui m’aide à vivre aussi. Je n’avancerais pas sans ces auteurs ou ces disciplines.