Une introspection féminine
Abdellatif Kechiche filme avec force vérité le parcours intérieur d’une jeune femme, Adèle. On suit le parcours de la lycéenne lilloise, qui aime la littérature et les pâtes bolognaises qu’elle dévore avec appétit-toujours la bouche ouverte, à l’instar des livres. Adèle a une petite moue qui séduit, filles comme garçons. Bien-sûr, la jeune femme n’a pas conscience de son pouvoir de séduction, elle semble se donner une contenance en resserrant frénétiquement sa queue de cheval, comme mal à l’aise avec ce symbole de féminité.
En faisant d’Adèle son héroïne, le réalisateur tend à la sublimer au fur et à mesure qu’avance le film. Il révèle à l’écran sa fragilité, ses doutes mais aussi sa sensualité et sa féminité. Lorsqu’on quitte Adèle-à regret, c’est pour retrouver une jeune femme forte, professionnellement accomplie. Sa seule fragilité reste dans sa vie personnelle en raison de ses amours déçues…déchues aussi.
Les plans du réalisateur sur Adèle sont magnifiques : il s’attarde à poser sur elle un regard empli de sincérité. A n’en pas douter, il fait d’elle son sujet principal, les plans rapprochés face caméra en sont la preuve. La vie d’Adèle n’a jamais aussi bien porté son nom.
Une ode à la passion
En croisant le chemin d’Emma, jeune artiste aux cheveux bleus, la vie d’Adèle bascule : hantée par cette créature, elle la cherche jusque dans les boîtes gay de Lille. Lorsqu’enfin elles parviennent à s’adresser la parole, c’est pour entrer dans un rapport vif et sincère, où les codes sociaux sont abolis. Les deux jeunes femmes entretiennent alors une relation exclusive, singulière, comme suspendue hors du temps.
La scène d’abandon charnel à laquelle se livrent Emma et Adèle est d’une intensité rare au cinéma : d’aucuns la trouvent interminable et trop explicite, elle est en réalité d’une beauté absolue et d’une sensualité infinie. On ressent tout le désir, toute la tension sexuelle que les jeunes femmes contenaient depuis leur rencontre : tout ceci jaillit en un moment là encore, suspendu, hors de la réalité. Leurs ébats sont à la fois doux et sauvages, tendres et crus. Un grand moment de cinéma.
Une performance d’actrice(s)
C’est sans conteste Adèle Exarchopoulos qui tire son épingle du jeu. Du haut de ses 19 ans, elle incarne un rôle très complexe, aux nuances de jeu les plus subtiles, et tout cela avec brio. La jeune Adèle n’hésite pas à prendre des risques : en incarnant une lycéenne pas très féminine, en faisait fi des codes sociaux (la jeune fille mange la bouche ouverte, pleure et laisse dégouliner la morve…). Pour cette jeune actrice, le défi lancé par Abdellatif Kechiche était de taille.
Bien-sûr, on ne peut passer sous silence la confiance extrême qui a dû s’imposer entre Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, en particulier pour jouer avec justesse les scènes de sexe. Entre ces deux actrices semblent naître une tendresse infinie, sur fond de passion. Le réalisateur a su faire ressortir tout l’amour qui peut unir ces deux êtres : Adèle est sur le mode de la passion, physique et animale, alors qu’Emma est plus calme, posée en somme. Abdellatif Kechiche met en présence deux personnalités : l’apaisée et l’excitée.
La trame d’une vie sociale
Emma-Léa Seydoux est davantage dans un rôle de Pygmalion. Elle souhaite faire ressortir le meilleur d’Adèle; si cette dernière aspire à une vie d’institutrice, Emma souhaiterait qu’elle écrive, non plus seulement pour elle mais aussi pour les autres. En réalité, la vie d’Emma est artistique, et elle ne conçoit pas que d’autres, non dépourvus de talent, n’aspirent pas à ce même idéal. C’est sans doute à partir de ce tournant dans la vie de chacune, que la passion a commencé à s’essouffler. On peut sentir qu’Emma a besoin d’admirer intellectuellement pour aimer, il lui faut de la nourriture intellectuelle et plus spécialement artistique pour qu’elle puisse s’épanouir. Or, c’est elle qui apprenait à Adèle les noms d’artistes, leurs marques etc. Les deux jeunes femmes se sont mutuellement beaucoup appris, mais à partir du moment où les clivages ne s’estompaient pas, la passion s’épuisant, le quotidien les a rattrapées. C’est ainsi avec beaucoup de peine qu’on laisse la jeune Adèle retrouver sa vie, seule mais avec l’avenir devant elle, même si on a la sensation qu’elle a déjà vécu le plus beau.