Un quatuor au diapason
Le Corbeau et le Pouvoir met en scène 4 hommes du XVIIème, 4 génies qui ont marqué leur temps.
A travers cette pièce, ce sont des figures emblématiques de la littérature qui reviennent à la vie : La Fontaine, Molière et Racine. Tous trois passent une soirée des plus enivrantes lorsqu’on frappe à la porte. « Nul n’entre ici s’il n’est animal » profère le célèbre fabuliste. C’est sous les traits d’un renard-le malin, qu’entre celui qui se fait passer pour un éditeur. Il ne faudra pas très longtemps à La Fontaine pour le reconnaître : Colbert, le contrôleur général des finances en personne. Ce dernier est venu le convaincre de rejoindre son camp, celui du roi. La Fontaine, un fidèle de Fouquet malgré son arrestation pour malversation, a été privé de toute subvention. Ses amitiés lui ont causé l’infortune, et c’est celle-ci que Colbert va brandir en guise de récompense… Récompense ? Il s’agit plutôt d’un vil chantage. Entre argent et liberté artistique, La Fontaine devra faire un choix.
Une joute oratoire exemplaire
Colbert et La Fontaine, deux hommes que tout oppose, vont évoquer non seulement une vision de la poésie, mais aussi toute une conception des moeurs. Au fil de leurs arguments, tout un champ de la politique sera balayé. On sent néanmoins que Colbert concède quelques vérités à un La Fontaine plus que récalcitrant à sa proposition.
On assiste donc à une lutte au sommet : l’incarnation du pouvoir royal contre l’intégrité intellectuelle d’un homme en proie aux difficultés. Au fond, tout l’intérêt de cette joute oratoire réside dans le dilemme qui animent les deux partis. D’un côté, Colbert, qui ne lâche pas ses convictions profondes mais doit admettre nombre d’arguments à son opposant. De l’autre, La Fontaine, en totale réaction contre le pouvoir et son porte-parole, qui a néanmoins besoin d’argent. Ce sont tous les pans de la société qui sont débattus avec verve et ferveur : la poésie, l’art, l’amour et la politique.
Le retour de Molière, habile et lucide, donnera une théâtralité à leur débat jusqu’alors stérile. Sans pour autant les réconcilier, le dramaturge réussira à en obtenir une reconnaissance mutuelle. Grâce à cette mise en scène et bien des arguments, l’improbable se produit : Colbert finit par reconnaître le génie de Molière et La Fontaine. Quant à ce dernier, il concède à Colbert sa valeur politique, laquelle devrait entrer dans l’Histoire. Belle leçon de la part de deux personnalités que tout oppose.
Quatre comédiens dans le vent redonnent vie aux Anciens
Ces amoureux du verbe peuvent de nouveau s’exprimer par les voix des jeunes comédiens de talent qui les incarnent.
Colbert est interprété par Bartholomew Boutellis qui réussit le pari d’incarner le pouvoir tout en dévoilant certaines failles. La Fontaine est incarné par Clovis Fouin (et ponctuellement, pour des raisons d’agenda, par Pierre-Marie Poirier très à l’aise dans le rôle). L’esprit vif et malin, il rend justice à la valeur intellectuelle du personnage. Molière est joué par Baptiste Caillaud; débonnaire et très agile, il incarne à la perfection l’espiègle dramaturge. Racine reprend vie à travers Pierre-Marie Poirier, un personnage attendrissant et plus discret qui contribue à esquisser les enjeux du théâtre du XVIIème. La mise en scène est signée Sébastien Grall; Sophie Gubri a quant à elle assuré la direction d’acteurs.
Le pari était osé, et grâce à la qualité de l’écriture Jacques Forgeas mais aussi au talent de ses comédiens, Le corbeau et le Pouvoir parvient à convaincre son auditoire.
A voir au Lucernaire, du mardi au samedi, à 18H30 http://www.lecorbeauetlepouvoir.fr Pour réserver vos places, c’est par ici. Une interview de trois des comédiens bientôt sur mes Lettres.