La mécanique de l’ombre : engrenage sombre

Afiiche de la mécanique de l'ombre avec françois Cluzet

Thomas Kruithof signe son premier long métrage : un film de genre, d’espionnage comme on n’en a plus vu depuis les années 70.

Le synopsis : Duval (François Cluzet) est toujours au chômage deux ans après son burn out. Contacté par un énigmatique homme d’affaire (Denis Podalydès de la Comédie Française), il se voit proposer de retranscrire des écoutes téléphoniques : une tache simple et rémunératrice. Isolé de la société, il décide d’accepter la proposition sans obtenir de réponses à ses questions sur les desseins de l’entreprise qui l’emploie. C’est alors que, plongé au coeur d’un complot politique, il se retrouve pris à parti avec les services secrets, monde souterrain et non sans duplicité.

Une mécanique infaillible

Jeune réalisateur, Thomas Kruithof l’est uniquement par le nombre de films à son actif et non par son expérience. Derrière ce premier film, on sent non pas le potentiel mais le talent d’un très grand réalisateur. Qu’il s’agisse de mise en scène ou de scénario, ces deux composantes essentielles d’un film sont proprement impressionnantes. Si le réalisateur reconnaît avoir été influencé par les films de John Le Carré, ou encore de l’émission « Rendez vous avec X » sur France Inter, il a avant tout amené un genre que l’on avait plus vu en France depuis 40 ans.

L’espionnage regorge de situations humaines conflictuelles et passionnantes. L’infiltration, le secret, la manipulation, sont par essence très cinématographiques, reconnaît T. Kruithof

Une interprétation magistrale

Qui d’autre que François Cluzet pour interpréter ce rôle ? On le connaît davantage dans des rôles taiseux que volubiles, et pour cause, il n’a pas besoin de beaucoup de texte pour convaincre toute personne face à lui, que ce soit les spectateurs sur les sièges des salles de cinéma ou le réalisateur derrière sa caméra. Par sa sensibilité à fleur de peau, il incarne la quintessence du personnage sans l’expliciter par la parole.

Quand on lui demande si c’est compliqué de jouer un personnage mutique, François Cluzet répond que ce qui est compliqué(…) c’est de refuser la maîtrise. De s’abandonner. ne rien faire mais vivre dans la situation. 

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Une réflexion sur l’isolement

Dans la lourde tache qui lui est demandée, Duval pense être seul. Plus ou moins rapidement, on s’aperçoit qu’il ne l’est pas, du moins pas complètement ou pas comme on l’entend. Appuyé par les personnages interprétés par Simon Abkarian et Sami Bouajila, il semble se révéler au contact des autres, et particulièrement le personnage joué par Alba Rohrwacher, une amie des alcooliques anonymes. Ce qui est très intéressant et inhabituel dans la couleur que le réalisateur a donnée à son protagoniste, c’est que de lui on ignore tout de sa vie privée, de ses relations aux autres. Hormis un problème d’alcoolisme qui le contraint à suivre une thérapie pour s’en sortir, on ne sait rien d’une éventuelle épouse qu’il aurait eue, d’enfants qu’il n’a pas eus ou ne voit plus. Duval est dans l’isolement le plus total et donc, bien mieux manipulable.

Ce film est très riche car il propose aussi une réflexion sur la société et le travail (presque hégélienne : Hegel développe ici l’idée que le  travail est le lieu de la libération de l’humanité. (…) La volonté qui sera reconnue comme liberté, sera la volonté qui n’est asservie par aucun déterminisme, plus particulièrement qui n’est pas asservie à la nécessité de vivre. Celle-là acceptera de risquer sa vie dans le combat. L’autre préfèrera survivre en esclave plutôt que de prendre le risque de mourir. Elle « choisira » donc de se soumettre.*)

Autre dimension du film, on peut y voir un parallèle entre les conditions qui poussent les Hommes à faire le djihad et l’isolement de Duval, qui accepte tout au préalable, sans réfléchir outre-mesure.

Un personnage anti-tragique

Le personnage tragique est de sang noble et il est poursuivit par un destin contre lequel il ne peut rien et très souvent, il dispose d’un confident. Les problèmes qui sont posés au héros sont d’ordre politique, amoureux et ils engagent sérieusement son avenir propre et même de la nation. A la lecture de l’oeuvre, le lecteur doit ressentir de l’admiration et de la pitié envers ce héros. La fin de cette dernière se conclut soit par la mort soit par le renoncement du personnage.** Dans ce film, on constate que le rôle de François Cluzet est un anti-tragique. Au contraire de cette typologie de personnages, il trouve une force en lui grâce aux épreuves auxquelles il est confronté. Le malheur lui insuffle du courage, lui qui subissait son sort. 

*extrait de philoblog
** Source : Etudes littéraires


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